Pendant ce temps-là, au Chili ...

Dans cette tribune, Guillermo Scherping, membre du Colegio de Profesores de Chile, explique les raisons du changement radical d’orientation des politiques éducatives du Chili. Une tribune parue sur le site de l’Internationale de l’Education.

Tribune : 2015 au Chili - Cambia, todo cambia (10 février 2015)

Le 26 janvier 2015 restera gravé dans la mémoire des hommes et des femmes du Chili qui, dès l’introduction de la privatisation et de l’exclusivisme du système éducatif, ont engagé la lutte pour restaurer et développer une éducation publique gratuite de qualité, d’un bon niveau, inclusive et favorisant l’intégration, et liée à la qualité de la vie de chacun(e). Cette date marque une première étape décisive, permettant de porter un coup d’arrêt à une société fondée sur les privilèges des secteurs les plus puissants.

L’adoption de la loi mettant un terme à l’éducation lucrative, aux frais imposés aux familles et à la scandaleuse sélection des étudiant(e)s, s’inscrit dans l’action solidaire de l’Internationale de l’Education, et en particulier du Comité régional pour l’Amérique latine. Elle doit également demeurer gravée dans leur mémoire collective. Le modèle du bon élève du quartier, érigé par le néolibéralisme, commence à se fissurer. Permettez-moi de présenter comme symbole de cette première victoire la collègue Stella Maldonado, qui n’a ménagé aucun effort, et a traversé la Cordillère pour lutter à nos côtés sur les « grandes avenues ». Il faut parfois du temps aux idées justes pour ouvrir une brèche, mais lorsque le mouvement est lancé, elles finissent par triompher, car elles sont justes et solides. C’est le cas ici.

Il y a quelques mois, le système fiscal qui faisait du Chili un paradis où les grandes entreprises ne payaient pas d’impôts a été réduit à néant au Parlement chilien. Le système électoral, fait de privilèges, permettant à ceux qui remportaient un tiers de votes de s’emparer de la moitié des sièges au Parlement et de prendre notre démocratie en otage, est tombé il y a quelques semaines, et un système à la proportionnelle se dessine. On abolit à présent les privilèges révoltants qui avaient cours dans le secteur de l’éducation, et qui ont conduit l’OCDE elle-même à qualifier le Chili de pays où la ségrégation en matière d’éducation est la plus importante au monde.

Nous devons dédier cette victoire démocratique à toutes les familles chiliennes que notre combat a convaincues qu’il était nécessaire de changer le système éducatif de notre pays. Nous devons la dédier à tous les enfants et jeunes étudiant(e)s, dont l’instruction était entravée par le système de redoublement, victimes de répression politique pour avoir manifesté pour la justice sociale et le respect de l’éducation en tant que droit social, c’est-à-dire une éducation gratuite et de qualité, pour toutes et tous. Nous devons la dédier aux employés de l’éducation, aux enseignant(e)s, aux fonctionnaires et aux professionnel(le)s qui, dès le premier jour et au quotidien, ont lutté en faveur de ce droit.

Il est essentiel de préciser que cette réforme n’aurait pas été adoptée sans le combat du mouvement syndical et politique, sans une expérience latino-américaine et internationale claire et forte sur cette question.

Grâce au nouveau système scolaire, toutes et tous auront la possibilité de s’instruire sans subir de discriminations sociales, culturelles ou économiques. Ce seul élément laisse entrapercevoir un avenir meilleur, qui rompt avec le schéma imposé par le système Pinochet.

Le combat, comme toujours, continue. Dans le cadre des débats sur les réformes de la législation du travail, visant à renforcer le syndicalisme et à mettre un terme au droit de remplacer les travailleurs pendant les grèves, un autre vestige de la dictature, nous avons introduit, dans le Plan national pour les enseignant(e)s (formation initiale et continue des enseignant-e-s), la construction d’un parcours professionnel de l’enseignant. Le débat parlementaire sur ce projet de loi commencera vraisemblablement en mars prochain. La promesse d’une loi mettant un terme à la municipalisation de l’enseignement et créant une nouvelle institution publique pour l’éducation publique devrait se matérialiser en cours d’année.

C’est dans cette atmosphère de luttes et de débats que se déroulera, à Santiago du Chili, la Conférence régionale de l’Internationale de l’Education pour l’Amérique latine.

Note de la CGT Educ’action 77 :
L’année dernière, après de puissants mouvements sociaux, les Chiliens ont élu une présidente de gauche qui – attention ! - a tenu ses promesses, en particulier au niveau éducatif. La loi contre le « caractère lucratif » de l’enseignement vient d’être votée, elle vise à élargir le périmètre du service public d’éducation. Elle impose entre autres la « dé-municipalisation » de l’éducation : auparavant, les municipalités avaient un rôle prépondérant dans les affaires scolaires, entraînant des cas de clientélisme, d’enrichissement et de corruption sans nombre.Ce fonctionnement a fait la preuve de son échec. Le Chili était même classé pays le plus inégalitaire par l’OCDE en matière d’enseignement. Avant de revenir sur ses erreurs. Abandonner davantage de prérogatives (comme le périscolaire avec la réforme Peillon) aux municipalités, ce n’est plus au Chili que ça se ferait…